L’artiste dans son siècle par M. Hürner

Fernand Stievenart a vécu près de 60 ans dans une époque riche de créations artistiques étonnantes qui jalonnent encore la plupart de nos musées. Il nait à Douai en mai 1862 de parents fortunés car il ne semble pas avoir fait autre chose que peindre, à son rythme, au gré d’une vie apparemment très paisible.
Bien que vivant dans le nord de la France, il a été influencé par les œuvres des paysagistes français Corot, Millet et Courbet, ayant été l’élève de Gustave Boulanger et tout cela avant que le mouvement impressionniste ne laisse son empreinte dans l’histoire de la peinture. Alors qu’il grandit et suit ses cours de peinture, les impressionnistes organisent leur 1ère exposition en tant que GROUPE (sans Manet) en 1873. Mais d’autres artistes influents et « célèbres » se succèdent en quelques années dans des genres très différents. Il y aura Van Gogh, mais aussi les belges James Ensor, Spilliaert, Wouters et Permeke et ensuite l’émergence dés le début du 20ième siècle du quatuor « cubiste » composé de Picasso, Braque, Leger et Gris. De cette passionnante aventure des arts plastiques à la fin du 19ième siècle, Fernand Stievenart ne sera que fort peu pénétré. Il ne participera pas de manière active aux expositions à de rares exceptions et il ne fera rien pour assurer la promotion de ses tableaux.

En 1888, il participe au salon des Artistes français, il a 26 ans. Il devient membre de la société des artistes français en 1893 et à l’âge de 33 ans, il s’installe dans le petit village de pêcheurs de Wissant (Côte d’Opale) près de Boulogne où il fait construire une très belle maison, la villa « Sainte Marie des Fleurs », elle existe toujours. Il y vivra jusqu’en 1918, date de son départ pour Bruxelles où il a fait construire un somptueux hôtel de maître avec un grand atelier d’artiste au dernier étage. Il n’y travaillera que quelques années puisqu’il meurt avant d’avoir 60 ans le 22 janvier 1922.

Son fils Emmanuel a grandi au 80 avenue Bel Air et y est resté toute sa vie sans travailler, entouré des œuvres de son père et de sa mère, Mme de Reul. C’est dans cette immense maison que j’ai eu le plaisir de rencontrer le fils car mes parents y louaient un grand appartement. De 1969 à 1990, j’ai eu l’occasion de rencontrer à de multiples reprises Emmanuel Stievenart qui me parlait souvent de son père, de Wissant et d’une époque où tout était tellement différent. Il vivait reclus entouré des souvenirs. C’est peut-être du fait de sa fortune que Fernand Stievenart n’a jamais fait les démarches qu’il eut fallu faire pour faire connaître son œuvre au fil des années. Petit à petit, Emmanuel Stievenart m’a donné des tableaux de son père dont il ne savait que faire et d’autres ont été achetés. Il m’a également confié comme s’il me faisait don d’un trésor l’ensemble du fond d’atelier de son père, y compris sa palette, des centaines d’esquisses et le grand chevalet.

C’est ainsi qu’est né le devoir de mémoire.

J’ai décidé il y a quelque temps déjà de tenter de donner à l’œuvre de Fernand Stievenart la place qu’elle méritait et c’est aussi pour cette raison que je suis retourné à Wissant pour y rencontrer notamment les héritiers du couple d’artistes Adrien Demont & Virginie Breton qui avaient érigé en 1892 le fameux « Typhonium », un bâtiment d’inspiration égyptienne qui domine toujours les hauteurs de Wissant. Les héritiers animent avec beaucoup d’enthousiasme et de passion une association dédiée à la promotion de l’Ecole de Wissant avec l’aide d’historiens et de passionnés de peinture moderne.
C’est à Wissant que Fernand Stievenart aura passé sa vie d’artiste, dans la lumière, entouré d’amis et de peintres qui ont formé, petit à petit, ce qu’on appelle en toute modestie l’école de Wissant. Parmi les artistes les plus cités comme ayant participés à la joyeuse société du Typhonium, citons notamment G. Maroniez, F. Planquette, le couple Duhem-Sergeant, A. Houzé, P. Carrier-Belleuse, V. Pèpe, F. Quignon et F. Montholan.

J’aimerais commenter quelques œuvres de l’artiste Stievenart afin de montrer la richesse et la diversité de son immense talent.

D’abord, la peinture d’une fermette de Wissant qui existe toujours. Elle doit dater du début des années 1900. L’original de cette peinture (huile sur toile de 50×61) est beaucoup plus lumineux que la photo et on y perçoit davantage la richesse de la palette. On est déjà plus dans une représentation fidèle de ce qui est vu, on sent que l’artiste tend à grossir le trait pour donner à l’ensemble un mouvement indicible où on perçoit presque le petit coup de vent dans les arbres. Cette tendance à donner du mouvement va se renforcer avec les années. On peut presque comparer certains aspects des deux tableaux suivants à l’arrière plan du tableau de Manet intitulé Courses à Longchamp, peint en 1867. Il y a des similitudes dans le trait.


Dans le tableau ci-contre, la figuration est encore présente dans le bas du tableau mais le ciel est tourmenté, ce qui annonce un travail beaucoup plus stylisé, proche de l’abstraction, déjà à cette époque, et c’est dire que l’artiste était en recherche permanente.

Le tableau suivant est un petit tableau de 26×23 qui a été précédé de nombreux croquis. Nous avons choisi de montrer côte à côte le tableau et le croquis. On perçoit mieux le mouvement, déjà rencontré chez des artistes précédents mais Fernand Stiévenart a une approche très personnelle de ces mouvements. C’est très contemporain et rare à cette époque.

Un peu plus tard, alors qu’il est encore à Wissant, il peint un paysage marin extrêmement stylisé, ce qui est l’aboutissement d’une recherche dans la reproduction non plus d’un paysage mais d’une émotion.

Pour illustrer la variété de son travail et sa grande capacité à représenter le mouvement, j’ai choisi le tableau ci-dessous (68×46) qui n’est autre qu’un large mouvement de vagues.

Par ailleurs, Fernand Stievenart a peint de très nombreuses scènes de campagne illustrant des travaux divers. On perçoit dans ces tableaux réalisés sans doute alors qu’il était déjà à Bruxelles, l’influence du paysagiste J.F.Millet (1814-1875) et en particulier son tableau « Les Glaneuses » de 1857.

Si on examine maintenant les quelques tableaux proposés sur notre site dans la catégorie « Personnages et Nus », on ne peut que relever les influences impressionnistes françaises mais aussi belges, si on pense à Rik Wouters.

Le petit tableau sur bois ci-contre (24×18) est une pure merveille. Cette jeune femme, dans sa robe blanche et portant chapeau, assisse paisiblement dans un pré fleuri, est sans aucun doute une pièce maîtresse de notre collection d’œuvres de l’artiste.

Enfin, pour terminer cette petite sélection de tableaux, je vous propose un Nu (65 x 81) réalisé dans les années vingt à Bruxelles car le meuble existait toujours en 1990, dans la maison du fils de Fernand Stievenart.

Les quelques œuvres sélectionnées dans ce petit pensum illustrent bien le fait que Fernand Stievenart a bien été dans son siècle, influencé par des artistes qui ont laissé leur empreinte dans l’art moderne, mais il a développé un style propre, marqué par une grande sérénité et une recherche permanente de l’équilibre tout en allant vers une stylisation du mouvement qui frise à certains moments l’abstraction.

Fernand Stievenart a été très privilégié puisqu’il est resté en-dehors de l’agitation qui a marqué la France créative entre la guerre franco-allemande de 1870 et l’humiliation qui s’en est suivi et la grande guerre de 1914-18. Il a pu se consacrer toute sa vie à son art, à ses amis et à sa petite famille et ce privilège se voit dans son œuvre qui est extrêmement paisible.

Marc Hürner
Collectionneur